Échos d'Évangile

Pour ne pas être mort sans le savoir

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

14 septembre 2022

Crédit photo : Stefano Pollio / Unsplash

La péricope qui suit, en deux morceaux, introduit la deuxième partie de la Source, sur la «Vie de partisans» (Q 9,57 – 11, 52). Ces petits textes n’ont sans doute pas été rédigés par un témoin oculaire et ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Mais leur contenu étant quand même du pur Jésus, il nous faut donc nous attendre à ce qu’ils nous mettent les concepts à l’envers.

 

Q 9,57 Où que tu ailles, je vais te suivre, lui dit quelqu’un.

58 Ah oui ?  Les renards ont leurs terriers, et les oiseaux du ciel leurs nids, lui répond Jésus.  L’Humain, lui, n’a pas où poser la tête.

 

59 Seigneur, tu me permets d’aller enterrer mon père ? lui demande un autre.

         – 60 Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts.

 

  1. Le premier morceau (vv 57-58) est de l’ordre de l’exception puisque d’ordinaire, dans les évangiles, c’est Jésus qui prend l’initiative d’en appeler certains pour devenir ses partisans. Cette façon d’écrire rend compte de l’expérience chrétienne de l’origine de la foi : comme personne ne serait assez fou pour décider de son propre chef de vivre comme Jésus, le mouvement intérieur qui pousse à le faire ne peut provenir que du seigneur. C’est lui qui «appelle» à le suivre. Dans cette introduction de la Source à la vie de partisans, le texte se présente donc comme un avertissement visant les personnes qui, pour une raison ou l’autre, ont la prétention d’avoir les qualités requises pour intégrer la communauté. Le scribe se sert de la parole d’un Jésus qui, comme il le fait fréquemment, répond rudement à un interlocuteur, en l’occurrence quelqu’un qui s’offre pour faire partie du groupe des partisans. En somme, ce qu’il lui répond, c’est ceci :

 

Quoi !  Tu veux me suivre ?  Tu es prêt à devenir moins qu’un animal?

 

Il y a de la souffrance sous la parole de Jésus. Il a quitté sa famille, son métier, sa maison, son village dans lequel il avait sa place comme charpentier du lieu. Il est maintenant rejeté d’eux (Mc 3,20-21.31-35; 6,1-6). Il n’a plus rien, et il n’est plus rien, moins considéré qu’un animal. Dans cette parole, comme dans la suivante, Jésus se sert de l’hyperbole (exagération), mode d’expression qui le caractérise. De fait, à quelques reprises les évangiles disent de lui qu’il est «dans sa maison». Il semble bien s’être bâti une demeure à Capharnaüm, son pied-à-terre, chose relativement aisée pour un charpentier de métier. Mais, pour l’époque, être coupé des siens, c’est n’avoir plus rien, ne plus exister.

La parole de Jésus est significative pour la Source dans la mesure où, l’Église cherchant à vivre comme Jésus, devenir chrétien n’était pas de l’ordre d’une promotion sociale, et qu’il fallait avoir les reins solides pour s’y engager. Comme les choses se passent maintenant, à mesure que l’institution se déconstruit sous la poussée de son seigneur ou pour avoir laissé de côté l’évangile, il est permis d’entrevoir qu’un texte de ce genre va devenir de plus en plus pertinent.

 

  1. La seconde moitié du texte mérite particulièrement l’attention, car elle est à proprement parler scandaleuse. En effet, elle prend le contrepied de la réaction courante selon laquelle, face aux failles du système – qu’il s’agisse de n’importe quelle organisation, mais surtout de l’Église – la décision qui s’impose est de militer de l’intérieur puisque ce serait seulement de là que pourraient provenir les changements. Dans ce contexte, la parole de Jésus est carrément dévastatrice. Selon lui, en effet, le système est mort. Celles et ceux qui lui ont donné leur vie sont morts avec lui.  Il n’y a plus de vie là-dedans, et il est impossible que de la non-vie surgisse la vie. Jésus est de la lignée des prophètes comme Ézéchiel qui, jadis, montrait Yhwh en train de quitter le Temple et Jérusalem pour partir en exil (Éz 10-12); ou comme Jean Baptiste, selon qui il est illusoire de compter sur les promesses faites à Abraham pour se penser dans un système intouchable (Q 3,8). Comme Jésus le dit lui-même aux officiels du Temple :

 

         Q 13,35 Elle vous est abandonnée votre Maison…

 

Lui est donc ailleurs, ailleurs qu’à la synagogue, ailleurs qu’au Temple. Il veut voir les siens vivre autrement, se rassembler autrement, prier autrement, là où le Parent se trouve, à la base de la société, avec les siens, en attendant de faire arriver son Régime.

 

La parole de Jésus ne résout pas la question personnelle de l’appartenance à l’Église, ni de la non-appartenance à une Église. Elle vise à ébranler les fausses certitudes, et à poser les vraies questions. Il n’y a pas de système éternel. Il n’y a pas d’institution existant une fois pour toutes. On n’engage pas sa vie en la laissant aux bons soins d’une organisation quelle qu’elle soit, sous peine de mort («Laisse les morts enterrer leurs morts»). On se met plutôt au service d’un seigneur, en faisant, bien sûr, les compromis requis pour gagner sa vie et celle des siens. Faut bien vivre. Mais on cherche farouchement à rester intérieurement libre : dans le monde, mais pas «du» monde, comme le dit l’évangéliste Jean (Jn 15,19).

On discerne les lieux dans lesquels le seigneur Jésus a décidé d’investir le souffle énergisant de Dieu. Puis on décide en conséquence, lui reconnaissant – cela fait partie de la foi – sa liberté souveraine de s’engager là où il veut, et de se désengager quand il le veut. La partisane ou le partisan est continuellement en mouvement sur le chemin, à la suite de Jésus, laissant les morts enterrer leurs morts. Sinon on est mort, et on ne le sait pas.

Tu veux suivre Jésus ? demande la Source en ouverture de son développement sur la vie de partisan, éprouve-toi sérieusement pour voir si tu as les ressources requises. Tu prétends pouvoir suivre Jésus tout en cherchant la sécurité d’une patente bien établie ? Tu ne rencontreras que la mort chez les morts. L’intérêt de semblables paroles, c’est qu’elles obligent partisans et partisanes à se demander si leur foi est dans le système ou dans le seigneur Jésus, s’ils sont vivants ou morts.  Un mot en terminant : poursuivant dans la ligne de la Source, l’évangéliste Jean est d’avis que, pour avoir accès à la vraie vie, il faut d’abord avoir été vivant. Ce sont celles et ceux qui ont été vivants ici-bas qui traversent la mort en vie. Il n’y a donc pas de temps à perdre à faire le mort en enterrant les morts avec les morts.

 

18e texte de la série La source des paroles de Jésus

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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